19 Mar Remboursement des psychologues-psychothérapeutes par la LAMal : de soignant à expert ?
La LAMal va peut-être bientôt englober les prestations des psychothérapeutes non-médecins (on les appelle aussi psychologues)[1]. Cette reconnaissance fédérale induit des obligations liées au système de santé suisse, notamment vis-à-vis des assurances à travers rapports, diagnostics et preuves à fournir. Cette nouvelle position en est une d’expertise, donc de savoir. Et seuls les psychiatres ou formation jugée équivalente peuvent décider de prescrire une psychothérapie, juge la Société Suisse de Psychiatrie et Psychothérapie dans sa prise de position du 2 septembre 2019. Le médecin sait, on l’appelle traditionnellement docteur (du latin doctus « celui qui sait »). On ne dit pas des psychologues qu’ils sont docteurs[2], mais il arrive qu’on les appelle thérapeutes (du grec ancien θεραπευτής « serviteur, celui qui prend soin de quelqu’un »).
Et les docteurs semblent savoir que les thérapeutes ne savent pas. Dans l’émission de la RTS Forum du 11 septembre 2019, concernant leurs connaissances dans le système de santé psychique Sandrine Ghilardi, présidente du groupe des psychiatres et psychothérapeutes genevois interrompt Stephan Wenger, coprésident de la FSP : « je pense être un peu plus compétente ». On l’entend aussi dire « j’estime que les patients qui ont des problématiques psychiques ont droit à des prestations de qualité, c’est-à-dire qu’il y ait une indication qui soit posée par un médecin ». Sur leur blog, le Groupement des Psychiatres et Psychothérapeutes Vaudois écrit le 2 septembre 2019 : « Cette entrée dans la LAMal de non-médecins menace toute la profession« . Je me demande si la menace est d’associer des gens qui savent avec des gens qui ne savent pas. Je ne sais pas.
Heureux de l’accès facilité aux soins psychiques grâce à cette reconnaissance fédérale, je suis aussi craintif des conséquences d’une affiliation à un système de soins assujetti à l’expertise, aux rapports et aux diagnostics, une lourdeur administrative qui pourrait me faire perdre de vue la raison qui m’a poussé à choisir mon métier de thérapeute et me faire passer lentement et sans m’en rendre compte de celui qui prend soin à celui qui sait. En d’autres termes de devenir centré sur le savoir plutôt que sur la personne. Je crois profondément que l’effet de la thérapie repose essentiellement sur l’attitude relationnelle, et non pas sur un savoir théorique et une capacité de diagnostic des troubles.
De thérapeute à docteur ? Je ne sais pas.
Quelques commentaires sur cet article
J’ai écrit le texte que vous venez de lire en septembre 2019 dans le cadre d’une sélection pour devenir chroniqueur dans le Psychoscope, le magazine de la Fédération Suisse des Psychologues. Il n’a pas été retenu, ce qui m’a incité à développer mon ressenti ainsi que quelques réflexions par rapport au système de soin, en Suisse et ailleurs[3]. Le Conseil fédéral ayant décidé aujourd’hui même d’introduire le modèle de la prescription pour la psychothérapie effectuée par des psychologues et cela dès le 1er juillet 2022, le moment me paraît opportun pour partager ces réflexions.
Le modèle biomédical
Je suis inquiet par rapport au manque de liberté de choix qui existe aujourd’hui dans le domaine de ce qu’on nomme la santé mentale, et qui me semble s’accentuer en faveur du modèle biomédical. Ce modèle s’inscrit dans une logique où un acte médical spécifique (par exemple une opération chirurgicale ou une ordonnance médicale pour un médicament) découle d’un diagnostic spécifique. D’une manière générale ce modèle est très efficace et a fait ses preuves en médecine somatique.
La psychothérapie est-elle un acte médical ?
Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord distinguer la psychiatrie de la psychothérapie. La psychiatrie étant un domaine de la médecine, elle a hérité de ce modèle biomédical. Dans cette logique, elle fait correspondre un médicament à un diagnostic, et elle rend des comptes aux assurances qui demandent ces diagnostics ainsi que des pronostics de l’évolution de ce qu’elles nomment la maladie mentale. En outre, elle peut être pratiquée par toute personne ayant la formation adéquate, sans tenir compte de la qualité de la relation thérapeutique (or la corrélation entre la qualité de la relation thérapeutique et l’efficacité thérapeutique a été largement démontrée, ainsi que la différence d’efficacité de traitement selon thérapeutes et/ou client·e·s[4]). La notion de maladie mentale est également cohérente à l’hypothèse biomédicale : un acte spécifique découle d’un diagnostic spécifique fait par un·e expert·e d’une maladie spécifique. Mais cet a priori qu’un diagnostic spécifique peut être « solutionné » d’une manière similaire (à ce même microbe, je donnerai toujours ce même antibiotique) ne fait pas l’unanimité, car elle peine à s’ajuster à la complexité des processus et des difficultés encourues dans le domaine psychique. Certains modèles de psychothérapies postulent que la/le client·e est l’expert·e de sa souffrance (et non pas la/le thérapeute), d’où le « je ne sais pas » de l’article que je commente.
En Suisse la formation de psychothérapeute est accessible aux médecins[5] et aux psychologues. On pourrait ainsi postuler que les psychothérapies pratiquées par des psychiatres sont des actes médicaux, et que celles pratiquées par des psychologues ne le sont pas. Il est évident que médecins et psychologues ne font pas le même métier ; on peut percevoir cette différence comme une menace ou une complémentarité[6].
Au-delà de la profession, s’inscrire dans le modèle biomédical est aussi et peut-être surtout une question de choix personnel. Certains courants psychothérapeutiques se plient non sans effort à la règle diagnostic – acte médical, alors que d’autres y adhèrent facilement. C’est le cas notamment des thérapies cognitivo-comportementales (TCC), qui ont une philosophie tout à fait compatible avec ce modèle et qui de ce fait y trouvent un soutien inconditionnel. Le modèle biomédical sous-entend donc que la psychothérapie est un acte médical et que nos client·e·s sont des malades, remboursés par une assurance obligatoire qui prend en charge des maladies.
Un autre modèle pour la santé mentale
Arthur Kleinman (professeur d’anthropologie médicale et de psychiatrie à Harvard) et son collègue psychiatre Caleb Gardner sont d’avis que « quelque chose a mal tourné » dans le milieu de la psychiatrie. Selon eux le « diagnostic réfléchi » est en train d’être remplacé par des check-list d’amalgames de symptômes, et ce qu’ils appellent la « gestion des médicaments » est en train de remplacer la pratique. Ils écrivent que « nous faisons face à de sévères limitations des traitements biologiques, tout en trouvant moins de temps pour travailler avec les patients sur des problèmes difficiles. Plutôt que de se concentrer exclusivement sur la structure biologique, le domaine doit prendre de l’expansion si nous voulons répondre aux besoins des personnes réelles en clinique, dans les services médicaux et dans la communauté qui ont besoin de soins complets et relationnels pour soulager leur souffrance de façon efficace et humaine ».[7]
Dans le modèle biomédical la réussite d’une psychothérapie se mesure ainsi à la diminution des symptômes évalués par un diagnostic (dépression ou anxiété moins prononcées par exemple). Certaines approches psychothérapeutiques visent une amélioration globale de la personne, sans nécessairement se focaliser sur un diagnostic. Cet autre modèle semble davantage en phase avec les recherches les plus récentes[8] qui concluent que le diagnostic en dit peu sur l’individu en souffrance et sur quel traitement est le plus adéquat pour lui venir en aide[9].
Je préfère concevoir la détresse psychique comme un processus de vie normal[10] et sain que les « thérapeutes » peuvent accompagner et non comme une maladie que les « docteurs » peuvent connaitre.
Remerciements
Je tiens à remercier Laurent Berthoud pour nos riches et stimulants échanges autour notamment du chapitre d’un livre à paraître sur l’efficacité thérapeutique des psychothérapies dites humanistes[11], dont mon commentaire s’est inspiré.
[1] En Suisse, la formation de psychothérapeute est accessible aux médecins et aux psychologues
[2] Les docteurs en psychologie existent bien sûr, il s’agit surtout de personnes ayant une spécialisation dans le domaine de la recherche (et non spécifiquement dans le soin)
[3] La consigne étant d’écrire en 2500 signes (le texte en fait 2445), je suis heureux de pouvoir ici élaborer un peu ma pensée
[4] Lire par exemple Norcross, J., Lambert, M. (2019). Psychotherapy relationships that work : Volume 1 : Evidence-based therapist contributions. New York, N.J., Oxford University Press et Norcross, J., Wampold, B. (2019). Psychotherapy relationships that work : Volume 2 : Evidence-based therapist responsiveness. New York, N.J., Oxford University Press
[5] Depuis 1961 la formation de psychiatre est associée à celle de psychothérapeute, « une relative exception sur le plan international » (Revue Médicale Suisse 2016; volume 12. 1549-1553)
[6] Lire à ce propos le dialogue entre Edmond Gilliéron, psychiatre et professeur honoraire en médecine de l’Université de Lausanne et Stephan Wenger, psychologue et coprésident de la Fédération suisse des psychologues
[7] Gardner, C., Kleinman, A. (2019). Medicine and the Mind — The Consequences of Psychiatry’s Identity Crisis. New England Journal of Medicine, 381(18), 1697–1699 (ma traduction)
[8] Lire par exemple Allsopp, K., Read, J., Corcoran, R., Kinderman, P. (2019). Heterogeneity in psychiatric diagnostic classification. Psychiatry Research, 279, 15–22, et notamment le passage « by focusing on diagnostic categories, individual experiences of distress and specific causal pathways may be obscured » (p.7) (en se concentrant sur les catégories diagnostiques, les expériences individuelles de détresse et les voies causales spécifiques peuvent être masquées)
[9] Une équipe de Grande Bretagne a par exemple développé le modèle du Power Threat Meaning Framework comme alternative aux modèles plus traditionnels basés sur le diagnostic psychiatrique
[10] Je développe un peu la question de la normalité dans un autre article du Temps
[11] Berthoud, L., Zech, E., & Brison, C. (à paraître en août 2021). L’efficacité thérapeutique des psychothérapies centrée sur la personne et expérientielle : Validation empirique, méthodes scientifiques et apports spécifiques. In E. Zech, G. Demaret, J.-M. Priels & C. Demaret (Eds.), La psychothérapie centrée sur la personne et expérientielle. Bruxelles, De Boeck Supérieur
Crédit photo : Reputation Tempe
CeSDH
Posted at 19:58h, 19 marsBel exemple de lobby.
Et, nous, on passera à la caisse pour les chalets de vacances de gars qui ont raté médecine… vivement que la LAMAl soit reformée… à la baisse !
Dominic
Posted at 08:03h, 22 marsVivement que la LAMAL exempte de l’obligation de s’assurer les personnes qui se portent bien et ignorent complètement les autres, afin qu’elles puissent se sentir gagnantes en jouant au Pocker, puis quitter la partie à temps sans faire pitié pour obtenir un emprunt.
Dominic
Posted at 07:49h, 22 marsCe n’est pas évident pour un psychologue d’associer une possible cause organique à une manifestation de souffrance psychique. Par contre, quand le médecin généraliste questionne la personne sur son entourage familial, sa vie affective, ses satisfactions ou soucis dans son milieu professionnel, je ne le considère pas comme étant formé pour poser des hypothèses, et encore moins aboutir à des conclusions (comme certains le font).
Je pense que le plus souvent, celui ou celle qui peine à vivre, ou souffre en ne sachant plus que faire, en parlera en premier lieu à son médecin généraliste. Difficile donc de critiquer, pour la plupart des gens, le règlement prévu en juillet 2022. Et puis souvent, les questions que se posent les personnes qui « vont mal », se dirigent d’entrée vers une cause organique : « Qu’est-ce que j’ai ?.. » Envisager une cause psychologique provoque encore toujours pour la personne ou sa famille un malaise, même si aujourd’hui le recours au psychologue (ou au psychiatre) est considéré sous un autre regard.
Je pense impossible qu’un seul thérapeute, dans sa formation première en soins physiques, ou psychologiques, puisse être désigné à mieux recevoir en premier la personne attendant de l’aide. Je n’ai pas dit « patient », parce qu’il y a bien des personnes qui sont malheureuses des conditions dans lesquelles elles vivent, sans tomber malades… Pour exemple : un jour j’ai entendu l’infirmière de l’EMS dire : « La nouvelle patiente de la chambre 131… » Je lui ai répondu : « Madame (…) ? Elle n’est pas encore malade de se retrouver en un lieu où elle a perdu ses meubles, ses objets personnels, ses voisins qu’elle ne croisera plus, et son chat… Vous anticipez ? Ou est-ce que le fait de prescrire une tasse de thé, une douche, ou une alèse est un acte thérapeutique requérant un diplôme ?.. » Ainsi, la personne qui reçoit fabrique assez souvent, de cette manière, son objet de travail. Il y a des peintres qui peignent les interrupteurs et les serrures en blanc pour faire un gâchis convenant à leurs yeux. Et des médecins généralistes qui recouvrent de leur collant savoir les paroles de leur patient qui se plaint : « Vous avez assisté à des scènes pénibles dans votre enfance… Mais il y a longtemps… » En soixante ans, de folles et cruelles, les scènes subies seraient devenues « pénibles » ? La réalité peut-elle se modifier positivement à l’aide d’un calmant donné en paroles, ou prescrit en flacon ?
Je souhaiterais que le médecin généraliste et le psychologue puissent recevoir ensemble, puis se séparer après avoir pu s’entendre sur la meilleure orientation à conseiller. Il y a cependant peu de chances que ce modèle existe un jour. Actuellement, les médecins généralistes n’en verraient probablement pas l’utilité, et dans le futur il ne faut pas se faire d’illusions pour une approche différente des Caisses maladies…
Thomas Noyer
Posted at 09:54h, 22 marsMerci pour vos remarques; je vous rejoins en bien des points.
Je rêve aussi d’un système qui encourage un travail conjoint de perspectives différentes, et au fond c’est sans doute bien dans cette direction que va cette nouvelle loi…. en ce qui concerne la psychothérapie psychiatrique et psychologique. Ma crainte est qu’elle ne va pas dans cette direction en ce qui concerne une pratique humaniste ou biomédicale (si on peut séparer les deux).
Dominic
Posted at 05:31h, 23 marsJe pense que le biomédical et l’humanisme se rejoindront un jour, je n’ai eu l’occasion d’assister à un progrès que dans ma période de travail à la clinique jusqu’en 1989… J’avais ensuite encore des contacts avec des amis psychologues, et maintenant chacun (et une) a posé les clés et transformé son bureau en chalet de vacances. Une fatigue, un désintéressement, puis le désir d’oublier : « Maintenant je veux penser à moi ». Ils (et elle) sont devenus plus « comme tout le monde », les grands idéaux c’était quand on était jeunes. J’ai ressorti mes livres de Ronald Laing jaunis par la cigarette, qui s’y intéresserait encore ? C’était pourtant plus d’humanisme qui s’infiltrait dans le monde de la psychiatrie, on parlait « d’antipsychiatrie », il y a vingt ans elle l’était déjà beaucoup moins… Maintenant je n’en sais rien, j’assiste à une démolition de toutes les bases sur lesquelles la psychologie a évolué, à une négation devant laquelle il faut la boucler. Pas un seul article de psychologue ou psychiatre qui oserait s’aventurer sur le terrain miné des « humanistes » LGBTIQAP+. Le thérapeute de l’invisible soigne le mal-être à tous les degrés et protège le sien. Je crois que la notion de liberté n’est plus celle d’hier, elle est revenue un peu à celle des fanfares d’avant-hier avec d’autres instruments. Il y a quelque chose de cassé, la liberté n’a plus besoin d’être partagée, il suffit de s’évader en piétinant tout sur son passage. Autant finalement crever pour faire de la place, et ce sera pareil pour les suivants.