27 Sep Comment vaincre le jugement
Parce que nous sommes des animaux sociaux le jugement fait peur, et parce que nous avons besoin de nous sentir exister (j’y reviendrai plus tard), le jugement est menaçant. Il y a cependant des moyens de prendre du recul.
Madeleine
Mon patron n’arrête pas de reprendre tout ce que je fais et dis, la plupart du temps sans raison. Ce matin je prends une décision, les collègues m’ont félicité et lui il m’a dit que c’était une mauvaise idée. Vous avez pas un truc pour qu’il cesse par hasard ?
Moi
Il n’y a que lui qui peut cesser… par contre vous pouvez agir sur votre réaction
Madeleine
Et comment ?
Moi (après un court silence)
Si je vous dis « vous êtes belle », de qui est-ce que je parle ?
Madeleine (surprise)
Euh… de moi, non ?
Moi
Je parle surtout de moi : de mes goûts, de mes opinions, de mon regard
C’est pareil avec tous les commentaires qu’on fait sur les autres… on parle de soi. Le patron de Madeleine est peut-être perfectionniste, ou il y a quelque chose en elle qui le confronte avec un aspect de lui-même qui le dérange.
Madeleine
Mais quand vous me faites une remarque vous parlez un peu de moi aussi, non ?
Madeleine a raison, le jugement est presque toujours une réaction à un aspect de moi que l’extérieur révèle. Si je trouve quelqu’un beau, c’est que la beauté que je perçois chez l’autre existe chez moi (elle existe donc chez les deux). Si je trouve quelqu’un con…
C’est exactement cette raison (l’interdépendance entre nous) qui nous permet de prendre du recul et de développer de l’empathie.
Petite parenthèse : ne pas confondre jugement et observation[1]
Il y a parfois des observations qui ressemblent à des jugements, et l’inverse. C’est une différence qui m’a longtemps fait réfléchir car elle a souvent un rôle central dans les problématiques de couple, et je souhaite à présent me risquer à une définition toute personnelle.
Selon moi le jugement porte sur l’intégrité d’une personne (« tu es belle », « tu es conne ») ou a trait à des valeurs (« c’est une mauvaise idée »). L’observation porte sur un fait[2] (un comportement, une action ou des paroles : « ton visage est symétrique », « tu as fait plus de 5 erreurs ce matin ») ou encore mieux parle de ma propre réaction à ces faits (« ton visage m’inspire de la grâce », « quand tu dis ça je perds confiance »).
Le jugement appelle une réaction de défense ou une lutte de pouvoir car elle implique une menace à l’intégrité[3]. L’observation est un cadeau qu’on fait à quelqu’un qu’on aime et qu’on souhaite voir évoluer.
« Tu es belle » c’est un jugement ?
Il existe des jugements « positifs ». Tout comme les jugements « négatifs » ce sont des affirmations qui portent sur l’intégrité d’une personne ou qui ont trait à des valeurs. Ces jugements n’appellent pas la même réaction de lutte de pouvoir, mais peuvent amener une réaction défensive (inconsciente le plus souvent) car la personne qui les reçoit peut ressentir une forme d’amour ou d’acceptation conditionnelles, c’est-à-dire la pression d’être à la hauteur de l’éventuelle attente derrière le jugement.
Par exemple Madeleine, si elle entend qu’elle est belle, va peut-être faire en sorte de paraître belle avant de venir me voir pour ne pas décevoir l’attente qu’elle perçoit. Elle va ainsi perdre de la liberté de choix.
Dans sa situation professionnelle, d’autres personnes plus fragiles que Madeleine pourraient s’adapter au mobbing en se soumettant à l’attente perçue, trahissant ainsi leur propre identité.
Comment éviter qu’un jugement me blesse ?
Si j’arrive à garder en conscience qu’un jugement parle d’un aspect de moi et d’un aspect de l’autre, je peux prendre du recul et observer plus facilement ce qui est en jeu.
Madeleine (après un moment, comme si elle parlait à son patron)
Quand vous me dites que c’est une mauvaise idée je trouve ça étonnant, vu que les collègues ont tous une opinion contraire. Je suis toutefois prête à ce que mes collègues et moi nous trompions. Pouvez-vous me dire ce qui justifie votre commentaire ?
Comment éviter que mon jugement blesse ?
Un jugement blesse si la personne qui l’émet et la personne qui le reçoit n’ont pas conscience de leur interdépendance.
Parler de soi et garder le lien assurent une communication sans violence (sans pression et sans menace à l’intégrité). Dire « je vous trouve belle » ou « je trouve con ce que vous faites, et j’aurais apprécié que vous preniez conscience de l’impact que ça a sur moi » évite de blesser l’autre.
[1] Tout ce que nous entendons est une opinion et non un fait. Tout ce que nous voyons est une perspective et non la vérité (Marc Aurèle)
[2] J’appelle quelque chose un fait si n’importe quelle personne qui l’observe le décrit sensiblement de la même manière
[3] Donc au fond il y a comme une menace de mort (ou d’annihilation) dans le jugement
Lire aussi :
Extrait de séance – le psy est en colère
Crédit photo : Viola Madau
Découvrez des extraits de séances et d’autres moments inédits de dévoilement du thérapeute dans mon ouvrage « Dans la peau du psy »
Depuydt
Posted at 14:50h, 27 septembreC’est émouvant ce que tu racontes, bravo, que Dieu te bénisses
Thomas Noyer
Posted at 14:57h, 27 septembreMerci pour votre commentaire, que vous soyez béni aussi! #handstogether
Amani
Posted at 20:19h, 27 septembre« Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libre(s). »
C’est la première pensée qui me vient à l’esprit en lisant cet article: à « consommer » sans modération!
Thomas Noyer
Posted at 20:49h, 27 septembreMerci beaucoup pour votre commentaire. Ce sont des choses que nous autres psys savons, mais dont nous avons à mon avis la responsabilité de transmettre à un large public.
L’autonomie, la responsabilité et comme vous dites la liberté sont de beaux objectifs de santé!
Pierre-Alain Bonzon
Posted at 18:24h, 29 septembreSalut Thomas,
J’aime bien ta façon de traiter le jugement, Ça me rappelle un livre que j’ai lu il y a pas si longtemps: “Que faire des cons ? Pour éviter d’en rester un soi-même “ il aborde les choses en incitant chacun•e à aller ala rencontre du con qui est en soi. Je trouve que vos perspectives se rejoignent,
À très bientôt,
Pierre-Alain Bonzon
Thomas Noyer
Posted at 19:28h, 29 septembreCher Pierre-Alain,
Merci pour ta remarque, je n’avais pas conscience de l’existence de ce livre au titre évocateur et au thème familier! ;P
A très bientôt
Yann Chappuis
Posted at 09:51h, 24 janvierSalut Tom!
Je lis ton article avec grand intérêt et j’aime bcp la clarté de ce que tu exposes.
C’est certainement très utile pour beaucoup de monde!
Par contre j’ai une proposition d’amélioration sur la fin quand tu écris :
» Dire « je vous trouve belle » ou « je trouve con ce que vous faites » évite de blesser l’autre ».
A mon sens, exprimer un jugement, même si on en prend la responsabilité, comporte un risque assez élevé de blesser l’autre.
J’aurais plutôt écrit, par exemple :
« Je trouve con ce que vous faites, et j’aurais apprécié que vous preniez conscience de l’impact que ça a sur moi… » Le lien avec les besoins (et éventuellement les sentiments, même si c’est moins fondamental à mon sens…) me semble essentiel pour avoir un discours qui augmente la probabilité de ne pas blesser l’autre… Au plaisir de te revoir 😉
Thomas Noyer
Posted at 11:03h, 24 janvierSalut Yann!
Merci pour ton commentaire très pertinent. En relisant, je me rends compte que cette dernière partie est un peu trop simplifiée et que la notion de garder le lien (ou comme tu dis le lien avec les besoins ou sentiments) n’est pas explicite. Je me suis permis de compléter en ajoutant ton complément.
Copyright Yann Chappuis!
A tout bientôt 😉