05 Juil Est-ce que les psys peuvent sauver le monde?
J’ai posé cette question à des psychothérapeutes, en imposant deux contraintes : 1000 caractères espaces compris et un délai d’un mois. Les réponses sont étonnamment créatives et diverses. Voici le résultat (par ordre alphabétique) :
« Est-ce que les psys peuvent sauver le monde? ». Bien sûr que non ! Comment en effet répondre à cette question par l’affirmative sans être, à juste titre, taxé de mégalomanie ? Et puis, le monde, c’est vaste, et beaucoup – politiciens, scientifiques, philosophes, éducateurs, économistes, leaders de tout poil – , avant les psys, ont tenté de le sauver, sans véritable succès semble-t-il… (encore que le Christ, à mes yeux de croyant, y soit parvenu quant à lui, mais c’est là une autre histoire !).
Non, la tâche des psys est infiniment plus modeste : prendre soin de l’homme (de la femme) et l’accompagner dans la traversée de sa souffrance – et non pas le guérir, ou parfois seulement, et partiellement, car on ne soigne pas le psychisme comme un rhume ! -, l’aider à advenir à lui-même et, ce faisant, l’aider à s’aimer dans les différentes dimensions de son être et de son agir, avec l’espoir que, par rayonnement, ce mieux-être bénéficie à ses semblables… puis aux semblables de ses semblables !
Maigre résultat ? Peut-être. Encore que…
Quand une personne avec le soutien bienveillant de sa psychothérapeute commence à prendre conscience de comment elle contribue à sa propre souffrance mentale en se renfermant dans une version d’elle-même trop réduite, un processus d’auto guérison débute. Dans ses circonstances de vie personnelles, elle est invitée à cultiver des qualités naturelles de l’esprit-cœur comme l’empathie et l’auto-compassion lorsqu’elle se reconnecte aux différents aspects de son vécu. Elle commence à s’accepter avec tendresse dans la vulnérabilité propre à l’expérience humaine. Nous pouvons offrir aux autres le regard aimable et compatissant que nous nous offrons. La résilience apaise le sentiment de séparation que la souffrance psychique alimente, permettant l’émergence d’un souci plus grand pour le bien-être du Monde, un sentiment né de la réalisation de notre interdépendance: je suis parce que nous sommes. Voici la réponse d’un cœur véritablement libéré et en paix.
Une vision des choses est que la souffrance a souvent comme racine l’inconscience et que le monde pourrait être « sauvé » grâce à la conscience. Et en la matière les psys ont un rôle à jouer : notre job c’est de sentir, d’observer et de communiquer consciemment. Nous avons un certain pouvoir sur la conscience ; et comme le pouvoir donne la responsabilité, nous avons aussi une responsabilité par rapport à la conscience individuelle et collective.
Cette responsabilité, je crois que c’est celle de transmettre, d’éveiller, d’inspirer. En thérapie bien sûr, mais aussi de manière beaucoup plus discrète et banale : une manière d’être, une présence, un échange de regards… un texte.
Être inspiré, c’est pouvoir faire le choix conscient de qui je suis. Et comme le dit Angela Merkel, « ne plus faire un choix parce qu’il est possible, mais parce qu’il est juste ».
Dans le cadre de notre travail de psychologue, je crois qu’il existe une réticence à accueillir des thématiques qui dépassent les sphères individuelles et interpersonnelles. Cette fermeture est peut-être liée au sentiment d’impuissance par rapport au malaise ambiant lié à la perspective d’un avenir incertain. Mais au-delà de ça, je crois que notre écoute dépend largement de notre propre cheminement lié à la question de la transition écologique. J’imagine un continuum allant du déni et de l’indifférence (qui se traduisent par une résistance au changement personnel), à l’engagement vers des comportements plus sains pour notre planète, avec un passage nécessaire par la conscientisation des émotions bouleversantes que provoquent la crise écologique et le climat d’incertitude (peur, colère, désespoir, impuissance, etc.). Pour aider nos patient-e-s à transcender ces émotions et s’engager dans la transition, je pense qu’il est déjà de notre devoir de s’approprier ces questions, et bien sûr d’accorder à ce processus sa juste place lorsqu’il apparaît en séance.
Mona Radda
« Sauver… », voici un terme qui nous ramène, selon moi, à la religion, notamment chrétienne, dans laquelle il est question de « salut » avec l’idée « d’aller au paradis ». Or, de nos jours, les « psys » sont séparés du religieux et, même si une notion comme la « spiritualité » commence à reprendre sa place dans le domaine des soins et donc aussi en « psy », il y a un monde d’écart entre spiritualité et religion, et un autre monde encore plus grand entre la « psy » et la religion. Nous voilà coupés en morceaux, comme en médecine, avec la tête d’un côté, le corps de l’autre, et l’âme qui erre sans trop oser se montrer ou se nommer au risque de se faire brûler ou fustiger ou encore enfermer dans les limbes. Alors ce que nous pouvons faire, en tant qu’être vivant, pendant un moment, c’est laisser les mots de côté, ainsi que les élans de mission de « sauvetage » que nous croyons devoir accomplir, et retrouver l’expérience vivante d’être simplement et d’exister… au sein d’un tout.
« En bien ou en mal ? » Voici la question que me lança l’un de mes fils, espiègle, à la lecture du défi proposé par Thomas Noyer. Si les psys peuvent changer le monde, c’est parce qu’ils ont appris que l’humain est un être traumatisé. Traumatisé de ne pas avoir décidé de naître. De découvrir que sa mère, source de toute sa confiance, le trompe avec un autre. Que la sexualité adolescente l’attaque depuis l’intérieur pour l’inciter à faire des choses qu’il ne comprend pas. Nous n’avons que des bonnes raisons d’avoir peur de notre corps, de nos partenaires les plus proches, du passé, et donc de l’avenir. L’énigme, ce n’est donc pas la méfiance et la peur. Non, l’énigme c’est quelque chose d’invraisemblable qui permet à l’homme de survivre, de s’adapter. D’avoir réussi à trouver dans ce monde un « même que moi », et d’avoir senti intensément que cette alliance, cette communauté de destin me rend plus fort. Socrate disait qu’une fois un tel secret découvert, nous avions l’obligation d’en « prendre soin. » Pour le meilleur et pour le pire.
« Major Dallas, vous avez été choisi pour une mission de la plus haute importance : sauver le monde ! »
Cette réplique tirée du film « le 5ème élément » de Luc Besson (1997) met en évidence un militaire reconverti en conducteur de taxi sur les épaules de qui repose la survie du genre humain. La menace n’est autre qu’une force obscure qui n’a qu’un objectif : la destruction. A quoi pourrait bien correspondre cette puissance annihilante dans le champ de la psyché ? J’opterai pour l’orgueil. Il se fait volontiers oublier, passer pour autre chose. Parfois il revêt un smoking et porte le masque de la fierté. L’orgueil est passé maître dans la dissimulation et il fait tout son possible pour mener le bal sans être identifié. J’ai foi en cette psychothérapie qui est génératrice de prises de conscience telles que la vie s’en trouve illuminée et donc bouleversée. Les psys sont à même d’accompagner vers la lumière ; or rien ne peut éliminer ce qui a été percé à jour.
J’ai longtemps suivi une adolescente qui se questionnait sur sa légitimité à pouvoir être heureuse voire même à vivre. Elle avait beaucoup inquiétée la psychologue novice que j’étais et la voir souffrir me faisait sentir terriblement impuissante, frustrée et en colère de ne pas pouvoir la « sauver ». La sauver de quoi ? je ne savais alors pas très bien.
Mon superviseur m’a demandé : « Si elle devait mourir, qu’est-ce que cela vous ferait ? » Cette question m’a bien fait réfléchir. J’en ai compris que mon rôle n’était pas de la maintenir à tout prix en vie mais plutôt d’aider la part en elle qui souhaitait vivre.
Il n’y a pas longtemps, mon superviseur m’a dit : « le jour où j’ai compris que je ne pouvais pas sauver tout le monde, cela a été une énorme libération pour moi ». Je partage son point de vue. Je ne sais pas si les psys peuvent sauver le monde mais ce que je sais c’est que je fais du mieux que je peux afin d’accompagner ces jeunes en souffrance pour qu’ils se sauvent (d’)eux-mêmes.
J’ai eu beaucoup de plaisir à susciter cette réflexion, à organiser une mise en commun et à découvrir la diversité et la richesse des contributions. Je renouvellerai sans doute l’expérience avec d’autres thèmes ; dès lors, si vous êtes psychothérapeute et que vous seriez a priori intéresséE par l’idée, vous pouvez me laisser un commentaire à cet article (j’aurais accès à votre adresse mail, pas les lecteurs) ou ailleurs. Merci à vous, qui avez ou qui aurez participé !
Découvrez des extraits de séances et d’autres moments inédits de dévoilement du thérapeute dans mon ouvrage « Dans la peau du psy »
Olivier Wilhem
Posted at 02:51h, 07 juilletLorsqu’un psy SUPPRIME UN MESSAGE, c’est bien la preuve qu’il ne sert à rien, couillions!
Thomas Noyer
Posted at 10:04h, 07 juilletLe psy ou le message? … ;P
Soulerin
Posted at 15:50h, 09 juilletBonjour, pour la créativité des réponses, en 1000 caractères çà aide, mais pour la diversité, je serais plus nuancé, car je trouve que le sujet, l’effondrement d’une civilisation, est quand même grandement pris à la légère par les intervenants. Beaucoup restent centrés sur la sphère individuel, alors que les enjeux sont sociaux et collectifs, mais peut-être parce que seulement des thérapeutes ont été interrogés.
L’effondrement ou la décroissance, il faudra choisir collectivement, çà questionne une civilisation entière. Dans un cas, les psys vont avoir beaucoup de travail dans l’autre, ils auront peut-être une vocation.
Mais dans les deux cas, il n’y aura pas assez de psychothérapeutes pour une prise en charge individuelle, dans un monde qui souffre justement de beaucoup d’individualisme !
Castagna Carmen
Posted at 17:25h, 19 juilletBonjour, je suis psychothérapeute à la retraite et très impliquée dans les mouvements écologiques, consciente de la gravité des enjeux, il s’agit ni plus ni moins de notre survie en tant qu’espece.. Par contre je n’ai pas rencontré beaucoup de collègues psy réellement engagé dans ces mouvements. Je trouve même que la plupart continuent leur vie comme si de rien n’était, simplement préoccupés par les aléas de leur métier… C’est décevant… ?, mais ce n’est que mon avis suite à un constat personnel…
Charline Schmerber
Posted at 12:33h, 21 juilletBonjour Carmen, je suis également psychothérapeute et très intéressée, concernée, par la question de l’effondrement et de l’émergence de la solastalgie qui y est liée. Je vous rejoins sur le fait que ce sujet, bien qu’essentiel dans le monde dans lequel nous vivons, trouve encore assez peu d’écho chez les collègues psychothérapeutes. Peut être pourrait-il être intéressant de réfléchir collectivement à la question pour pouvoir sensibiliser les thérapeutes et ensuite les « embarquer » dans une réflexion autour d’un accompagnement spécifique ? Tisser un maillage entre psychothérapeutes, professionnels de soin, personnes motivées pour animer des groupes de parole pourrait constituer des éléments de réponse à un besoin de soutien global qui commence à émerger et qui va s’intensifier.
Je suis convaincue aussi que l’on accompagne d’autant mieux les problématiques que l’on a pu soit même traverser. Je me réfère beaucoup à mes « bases » en tant que thérapeute. Traverser ce processus de deuil, cette prise de conscience par rapport à l’effondrement m’a permis de retrouver un chemin vers l’action, vers l’envie de soutenir cette thématique là et de me ranger du côté du vivant aussi longtemps que possible.
Je serais vraiment preneuse d’échanges, de co-construction, de réflexion avec des collègues sensibilisés à la question de l’effondrement. Beau dimanche à vous ! Charline Schmerber
Charline Schmerber
Posted at 12:45h, 21 juilletBonjour Thomas,
Merci à vous pour cet article qui ouvre des pistes de réflexion par rapport à l’implication des psychothérapeutes dans ce contexte d’effondrement de la civilisation thermo-industrielle.
Je rejoins Luc Soulerin sur l’importance de la dimension collective tout en ne négligeant pas la sphère individuelle (les traumas présents font écho chez chacun à des traumas peut être passés très personnels et il est essentiel d’accueillir cela).
Je suis convaincue qu’en tant que psychothérapeute nous aurons un rôle de soutien important à jouer et que cela sera plus fructueux si nous y réfléchissons à plusieurs. Nous sommes face à des formes de détresse psychique nouvelles (la solastalgie notamment) qui nécessitent des accompagnements spécifiques.
Je vous laisse mes coordonnées pour pouvoir éventuellement échanger ensemble si mon commentaire trouve un écho.
Charline Schmerber
Thomas Noyer
Posted at 17:00h, 21 juilletMerci pour vos commentaires.
Quand j’ai choisi le thème de cet article, « sauver le monde », je pensais bien sûr à des facteurs actuels très concrets comme le changement climatique et à l’angoisse qui peut en découler, mais également à des facteurs psychologiques et sociétaux liés aux nouvelles habitudes des pays « riches » comme l’isolement, la sédentarité ainsi qu’aux conséquences d’avoir accès à tout tout de suite: inconscience, manque de tolérance à la frustration, individualisme, déni, perte de lien avec ce qui est naturel, angoisse et incertitude devant l’avenir entre autres.
« Sauver le monde » me parait être une idée (un plan?) très vaste et ambitieux, et dans cette optique je crois que nous avons l’urgence de rassembler une cohorte de métiers pour réfléchir et surtout agir. (Je pense que les acteurs les plus les plus à même de pouvoir influencer un changement sont les industriels, les juridiques et les politiques, à travers notamment des contraintes matérielles votées démocratiquement, mais qu’ils pourront le faire que dans un esprit de coopération, d’où l’envie d’être cohérent en collaborant pour écrire cet article).
Étant donné que je posais la question à des psys, le champ d’action est évidemment restreint à ce champ professionnel, ce qui donne l’impression d’un manque de vision globale; je ne pense pas que ce soit le cas, surtout que les interventions devaient se restreindre à très peu (1000 caractères). Si la question avait été posée à des hommes ou femmes de droit, la tonalité des réponses aurait certainement été différente, tout comme si la question avait été posée à des politiques.
Lira
Posted at 15:26h, 23 juilletJe trouve la question excellente et les réponses données me parlent. En tant que socio-économiste de formation et ayant moi-même fait une thérapie de plusieurs années, je prône la richesse de l’interdisciplinarité et la prise de pouvoir par des hommes et des femmes capables de dialogues, qui comprennent l’urgence climatique, et ont guéri assez de leur propre souffrance pour avoir l’énergie de donner aux autres et à la planète.
Donc Charline Schmerber, je suis preneuse de toute initiative. Vous pouvez demander mon email à l’auteur de l’article qui doit le recevoir en même temps que ce commentaire à modérer.
Thomas Noyer
Posted at 16:54h, 23 juilletMerci pour votre commentaire; je crois que le monde politique a besoin de personnes – de femmes! – avec une vision à long terme. Pour avoir le courage d’avoir une vision à long terme, je crois qu’il faut un intérêt plus large que sa personnalité: un intérêt pour l’humain, le devenir de notre espèce, de notre Terre. C’est assez rare en politique. Je vote pour vous!
Valek m'a aidé
Posted at 01:54h, 24 juilletQu’est-ce qui fonctionne le mieux?
1 heure de psychothérapie?
Ou 10 minutes de Valek?
https://m.youtube.com/watch?v=xsELloqWyDU
Thomas Noyer
Posted at 10:10h, 24 juilletJe dirais que ça dépend de la personne, sa demande et du moment… parfois un conseil peut s’avérer utile alors que je crois que la plupart du temps il ne l’est pas; parfois entendre certaines vérités de l’extérieur peut aider et parfois on a besoin de soutien pour chercher en soi nos propres réponses!